« Rwanda, portraits du pardon » un documentaire de Joel Karekezi pour Toute l’Histoire – Article Télérama
“Rwanda : portraits du pardon”, un documentaire qui pose la douloureuse question de la réconciliation
Nous sommes vraiment heureuses avec Hélène Seingier, d’avoir aider Joel Karekezi à finir son travail documentaire de 52′ et à le diffuser en France et bientôt dans le monde.
Faut-il pardonner à ceux qui ont tué votre père, votre mère ou vos enfants, alors qu’ils étaient vos voisins ou amis ? Cette interrogation est au centre de “Rwanda : portraits du pardon”, poignant documentaire de Joël Karekezi, lui-même rescapé du génocide. A voir sur Toute l’Histoire, ce dimanche 28 avril.
Vingt-cinq après le génocide, le concept de « pardon » reste au centre de la politique de réunification du Rwanda. Les génocidaires hutu doivent l’obtenir de leurs victimes tutsi en échange de leur grâce ou d’une remise de peine. Un processus que le réalisateur rwandais Joël Karekezi, lui-même rescapé, raconte dans son poignant Rwanda : portraits du pardon, diffusé sur la chaîne Toute l’Histoire ce dimanche 28 avril.
Daphrosa, 70 ans passés, un regard tendre qui vous transperce l’âme, est entourée de deux hommes d’une quarantaine d’années. Elle se tourne vers celui de droite, prénommé Ellias. « Cet homme-là vivait quasiment chez nous. Il me donnait souvent un coup de main pour les tâches domestiques. Lors du génocide, quand mon mari a fui, cet homme et d’autres l’ont arrêté puis l’ont tué… » Elle poursuit de la même voix calme et posée : « Aujourd’hui, il est toujours bienvenu dans notre famille. » Ellias intervient ensuite : « J’ai réussi à me pardonner moi-même car on m’a accordé le pardon. » Protais enchaîne : « J’ai imploré son pardon et nous sommes devenus des amis proches. »
Une photo immortalise la scène : Daphrosa pose souriante entre ses deux bourreaux. Un cliché datant d’avril 2014, signé Pieter Hugo. Ce photographe sud-africain en a pris des dizaines comme celui-ci pour illustrer « le processus pour l’unité et la réconciliation nationale » lancé par le gouvernement rwandais (1). Sur ces photos, à chaque fois, on découvre une victime tutsi poser avec son ou ses agresseurs hutu, auxquels elle a accordé son pardon. « Mon film a débuté comme un puzzle photographique », explique Joël Karekezi, qui a recueilli les témoignages des différents partis.
Aveux, pardon et réconciliation
Une rencontre marquante pour lui, âgé de 9 ans lors du génocide et qui, comme beaucoup, ne sait pas qui a tué son père et où il est enterré. « Pour moi, rescapé, j’avais besoin de comprendre, de savoir s’il était possible de pardonner. » Sa quête débute grâce à ces séances photos et va se poursuivre pendant près de quatre ans. « Je suis allé dans les villages, à la rencontre des gens pour me forger mon opinion. »
Des villages où des gacaca (juridictions populaires) se tiennent depuis 2001. Victimes et génocidaires sont confrontés. Ces derniers, pour être graciés ou espérer une réduction de peine, doivent obtenir le pardon de leurs victimes. Avant cela, ils doivent la vérité aux familles. Les circonstances du meurtre et l’endroit où se trouvent les corps. Près de 120 000 bourreaux ont ainsi avoué leur crime, demandé et obtenu le pardon. « La politique de sensibilisation du gouvernement, des associations ou des ONG ont favorisé ces démarches », explique Joël Karekezi. L’incitation est efficace. Reste la question de la sincérité des aveux. « A vous de vous faire votre opinion dans le film. Leur sincérité se ressent dans leur façon de parler. Moi, je ne juge pas, je transmets leur témoignage », souligne le réalisateur.
Côté victimes, une échelle du pardon (de 1 à 10) a été mise en place. « Certains ont tout perdu, ont besoin d’un appui social ou de ne plus avoir peur. » Leurs témoignages sont poignants, souvent difficiles. Les récits des crimes insoutenables, l’invocation de la religion omniprésente. Ils étaient voisins, amis parfois avant ce 7 avril 1994. « Si les tueurs avaient tué des gens qu’ils haïssaient vraiment, on n’aurait pas eu autant de morts », avance Assumpta Mugiraneza, psychologue et spécialiste du processus de réconciliation.
Joël Karekezi, lui, s’est fait son opinion. Il veut croire en ce processus et nous invite à en faire de même à travers son documentaire: « Ça serait un crime d’oublier, mais nous devons avancer, pardonner pour mieux cohabiter. Nous le devons à nos enfants. » Un père gracié témoigne justement aux côtés de son fils. «Maintenant, nous avons tous la même carte d’identité, nous ne sommes plus identifiés selon notre ethnie. Nous sommes tous citoyens rwandais. Rien de plus. »